Hawa

Oeuf à terre, sauve qui peut !

L’œuf, sa coquille et son jaune, tout ça rien que pour lui. Hormis son utilisation en cuisine, l’œuf a aussi une identité symbolique dans le monde mystique.

 

L’œuf est un aliment important.

Pour autant, certains réinventent son usage. Ils se l’approprient. En chemin pour aller à l’Université, j’aperçois un œuf cassé par terre. Rien d’inquiétant ? Cependant, cet œuf porte des inscriptions noires sur sa coquille. Des traits noirs verticaux et son jaune d’œuf éparpillé. Mon regard est surpris.

Pourtant, je ne suis pas si étonnée que ça. Ce spectacle ne m’est pas inconnu. Tout de même, je me questionne. Pourquoi faire cela aux alentours de la fac ? De temps en temps, aux abords de ma rue, je constate ce même scénario. Il faut dire que ma rue est très cosmopolite.

L’œuf cassé pour des sacrifices.
Voici l’œuf cassé trouvé à coté de l’Université. Crédit photo Le Koteba.

Instinctivement, j’évite de marcher dessus. Cette photo, je l’ai prise le jour de cette découverte. Pour que vous vous méfiez des œufs cassés qui traînent dehors. Immédiatement, je pense sacrifice, marabout et toute la panoplie des choses mystiques. Ai-je regardé trop de films Nollywood ? Oui, certes.

Pour autant, je sais que le jet d’œufs est une pratique populaire mandingue, ce peuple ouest-africain dont je tire mes origines.

 

Un œuf pour réussir sa vie

Des œufs d’Afrique. Crédit photo Aurelle Noutahi/Iwaria

Bien que je vive en région parisienne, j’aperçois souvent ce genre de spectacle.

Je n’exagère pas.

En fait, utiliser un œuf pour la satisfaction de ses besoins personnels en pays mandingue ne date pas d’aujourd’hui. Dans ma ville, il y a beaucoup de maliens. Je suis malienne. Je sais que les maliens ne font pas que de manger des œufs :). Le malien fait une hybridation entre l’islam et l’animisme. Souvenez-vous, j’en parlais dans le billet « Le syncrétisme ouest-africain : une religion hybride ». Attention, pas tout les maliens ! Jeter un œuf est souvent fait pour obtenir quelque chose.

Le court-métrage L’oeuf de la trahison de Mariam Cheickna Kamissoko présente ce phénomène. C’est l’histoire d’un jardinier qui vient du village et souhaite marier une bamakoise. Un griot et lui vont chez elle pour lui parler de mariage. La femme refuse en disant qu’elle ne va jamais se marier avec un villageois.

Le jardinier met en place une stratégie grâce au marabout et l’œuf. Si elle le jette par terre, le jardinier ne va plus lui courir après. Si elle le loupe, elle sera sa femme. La femme va finalement louper le jet d’œuf, et accepte d’être la femme du jardinier (la scène est en langue bambara, mais les images parlent d’elles-mêmes).

https://www.youtube.com/watch?v=b3PGFt8Zv70


Voyage en Côte d’Ivoire : le marché d’Abobo (1/3)

Un séjour à Abobo, un été en Côte d’Ivoire. Entre rencontres, joie et colère baignez dans mon feuilleton ivoirien. Trois épisodes dont le premier se déroule au marché d’Abobo. Un marché où routine et racontar se joignent aux abobolais.

Ce dimanche 17 septembre, ce marché a été incendié, RFI rapporte que le lieu est quasiment détruit.

Un jour à Abobo

Abobo est une commune d’Abidjan. Perçue comme la plus dangereuse et pauvre. Pour autant, je m’y sentais bien.

Mon été à Abidjan était à Abobo, au quartier Plateau Dokui. Pas trop d’insécurité, contrairement au coin de la gare où, les microbes font parfois des opérations coup de poing avec des machettes.

Routes un peu rocailleuses. Les apprentis à la recherche de passagers criant « Adjamé Liberté » ou « la gare ». Ekolo oyo de Fally Ipupa en boucle : le Plateau Dokui est toujours animé.

Souriant, accueillant et charmant. Bien qu’une montagne de déchets y ont posé leur valise.

Mon dernier séjour en Côte d’Ivoire remonte à 2012. Abidjan a émergé. Par contre, Abobo est toujours dépourvue de bonnes routes. Chose essentielle.

Voici les trois grands changements que j’ai constaté :

  • d’énormes embouteillages
  • le pont Henri Konan Bédié
  • les vendeuses à la sauvette de poissons au marché d’Abobo

Le poisson, force de vente du marché abobolais

Le marché abobolais, de temps en temps j’y fesais un tour. Pour saluer, faire des achats et le contempler. C’est pas cher. On trouve tout. Impressionnant. Le poisson se vend comme de l’attiéké là-bas. Des vendeuses à la sauvette s’installent sur la route réservée aux voitures pour vendre toutes sortes de poissons. À des prix défiants toutes concurrences.

Le poisson sort du carton, le poisson de mer est inaccessible vu son tarif. Enfants, adolescents, adultes : le poisson est la force de vente du marché. Cependant, ces vendeuses commettent deux infractions. Elles vendent sans autorisation. Elles ne payent pas leur droit à la mairie. Puis, elles vendent sur la route. Or, la mairie a construit une route pour les voitures.

Chaque jour, un agent de la mairie vient et essaie tant bien que mal de chasser ces vendeuses. Travail inutile. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent. À vrai dire, c’est la routine. Un jeu. Armé d’un martinet, chapeau de cow boy, d’une allure dynamique il poursuit les vendeuses. Celles qu’il attrape se voient confisquées leur marchandise jusqu’au soir – avec une amande à la clé.

La guerre voiture/ vendeuse

Les vendeuses à la sauvette savent pertinemment qu’une voie pour les voitures existent au marché. Rien n’y fait. Chaque jour que Dieu fait, cette voie est inondée de vendeuses et de marchandises au sol. Dès qu’une voiture passe à vive allure, les jeunes filles crient « la mort ». Comme un message, pour prévenir du potentiel danger. Un jour, alors que j’attends mon plat cul de dindon, alloco et attiéké (un pur bonheur) une scène inouïe se présente sous mes yeux.

Une femme et un homme se battent. Des coups, des hurlements : un vrai palabre. L’objet de la discorde : les voitures et les vendeuses ne peuvent cohabiter ensemble. La vendeuse l’a bien fait comprendre au conducteur. La voiture est bloquée à cause des marchandises. À multiples reprises, il demande à la dame de pousser ses affaires. Elle refuse. Il descend, elle s’apprête. La bagarre. Heureusement, le marché c’est aussi des bons moments.


Voyage en Côte d’Ivoire : Zo Kalanga le photographe amateur (2/3)

Zo Kalanga est un photographe ivoirien. Amateur, mais très professionnel ses photos racontent la jeunesse ivoirienne.

Zo Kalanga un autodidacte de la photo

Pas besoin de dévoiler son identité. Zo Kalanga, son nom d’artiste lui suffit. Jeune photographe de 22 ans, passionné et doué, nous avons pu nous rencontrer dans un studio qui lui fait office de bureau, à Marcory. Cahier en main, il répond à mes questions. Avant l’interview, je lui dévoile mon admiration pour ses photos. Elles m’ont envoûté, d’où le souhait de le rencontrer.

Une vendeuse de banane à Abidjan. Crédit photo Zo Kalanga. Avec son aimable autorisation

Alors, qui est-il ?

  • Zo Kalanga  : Jeune mais ambitieux. Une licence pro en graphisme, mais c’est la photographie qui le passionne plus. Il aime les choses bizarres et mystiques. Une référence au chiffre 667 qui accompagne également son nom d’artiste. 667 suit le chiffre 666 connu pour être celui de Satan. (Satan tu es vaincu !)
  • Son nom d’artiste : Zo Kalanga me fait penser à des musiques de coupé décalé. Telle a été ma réaction lorsque je suis allée pour la première fois sur sa page Facebook. Kalanga vient du bantue, langue parlée dans plusieurs pays d’Afrique centrale. En bantue, on pourrait le définir comme quelque chose qui fait trembler. Il a alors associé kalanga avec le mot zo qui signifie beau ou belle en nouchi ivoirien. Zo s’est popularisé en Côte d’Ivoire grâce à la chanson « I pe pa » de Serge Beynaud et TNT. Une création authentique pour un nom authentique. Un nom hors du commun et totalement africain. Tout ce qu’il aime.
  • Son concept : « Montrer la jeunesse ivoirienne à travers ses photos » dit Zo Kalanga. Voilà pourquoi il a photographié Noëlla Tanoh. Noëlla Tanoh a fait une sex-tape en 2016. Buzz national, la vidéo a été vue des millions de fois sur la toile et même mise en vente sur le marché. Ce qui se passe dans ses photos n’est pas inventé.

L’Arafat de la photo

Il est photographe amateur, mais son souhait est qu’elles plaisent aux photographes professionnels : « Je veux être le Arafat de la photographie ivoirienne », confie Zo Kalanga.

Il n’a pas de studio photo à proprement parler, mais sa créativité paie. Après tout, l’art c’est ça. Actuellement, il distingue tout de même deux types de photos à valeur différente. La photo commerciale et la photo symbolique.

La photo commerciale, parfois faite rapidement : c’est ça qui lui permet de réaliser encore des photos. Ce genre de photo lui permet d’acheter du matériel et pouvoir faire de meilleurs photos. Elles sont faites en *chap chap pour lui. Plusieurs photos sont réalisées en un coup d’oeil. Cela ne lui ressemble pas.

Travailler en chap chap n’est pas son but, mais un mal nécessaire pour faire de la qualité. A contrario, les photos symboliques, c’est ce qu’il aime. Zo Kalanga arrêtera les photos commerciales quand il aura suffisamment d’argent pour pouvoir faire uniquement des photos symboliques.

Une photo symbolique de Zo Kalanga. Crédit photo Zo Kalanga. Avec son aimable autorisation

Une vieille corde à linge appartenant à sa mère, une bouteille d’alcool, un jeu de couleur et de l’inspiration.

*chap-chap : vite ou rapide en nouchi ivoirien


Voyage en Côte d’Ivoire : la montagne Sion (3/3)

La montagne de Sion est un élément naturel ivoirien. Nouvelle Jérusalem ou simple richesse de la nature, les zions attendent le rassemblement final sur cette terre.

La Côte d’Ivoire serait la terre promise de l’humanité. Les zionais le revendiquent. Chrétiens, mais appartenant à la communauté zion, ils vivent à la montagne de Sion à Kiriao, village communal de Facobly.

 

Une discussion dans les rues abobolaises avec une connaissance au sujet de la montagne de Sion m’a intrigué. J’ai rencontré un adepte de cette doctrine, Jean Rodrigo Kouamé Kouakou.

Jean Rodrigo Kouamé Kouakou est chrétien, mais davantage zion. Avant de devenir religieux, il était DJ à Yopougon, commune d’Abidjan où maquis et boîtes de nuit accompagnent les rues.

Aujourd’hui, il a abandonné tout cela. Il dévoue exclusivement sa vie à Dieu. Une rencontre a bouleversé sa vie. Elle a métamorphosé son existence. Un homme lui a indiqué le chemin vers Dieu. Ses yeux se sont alors dédja* comme il le dit si bien. « Avant, j’étais DJ à la rue princesse à Yopougon. Maintenant, je suis le dj du Saint-Esprit », dit-il.

La montagne de Sion ou le rassemblement pour tous

Autour d’un verre de coca, Jean Rodrigo me raconte son parcours religieux. Il vient tout juste d’arriver à Abidjan. Après un long séjour d’un an et deux mois à la montagne de Sion, il retrouve enfin la civilisation.

Une impression me fait croire qu’il souhaite me zionniser. À la montagne de Sion, ils sont très peu. Une cinquantaine. Selon ses dires, cette montagne est la montagne de Jésus-Christ et Adam et Eve sont nés là-bas.
Les zionais attendent dans cette montagne une troisième personne pour accomplir la Trinité : le Saint-Esprit, qui doit venir sur cette montagne. Jean Rodrigo insiste sur cela. Voilà pourquoi Zion est la nouvelle Jérusalem. Pour autant, le monde ne le sait pas. Les chrétiens de Côte d’Ivoire ne veulent pas reconnaître Zion, car ils ne cherchent pas à connaître l’arbre de vie.

Le cannabis, essence de vie pour les zions

L’arbre de vie, c’est l’arbre de la connaissance. Dans cet arbre pousse du cannabis. Le cannabis est l’essence de vie des zions, puisqu’il est issu de la nature. Ils en consomment de façon quotidienne. Perplexe, je lui demande plus d’explications, car je trouve ça étonnant voire paradoxal pour un religieux. Plusieurs arguments fusent de sa bouche : « A la fin des temps les feuilles de l’arbre de vie serviront à la guérison des nations (Apocalypse 22). » « Il s’élevait de la fumée dans ses narines, et un feu dévorant sortait de sa bouche : il en jaillissait des charbons embrasés (2 Samuel 22). » Le cannabis serait évoqué dans la Bible et il aiderait face aux maux de la vie. Les zions n’y voient pas d’inconvénients.

Jean Rodrigo et les Zionais sont convaincus d’une chose : la montagne de Zion est la Nouvelle Jérusalem. Les prêcheurs de Zion vont dévoiler la lumière aux hommes.

Merci à Jean Rodrigo Kouamé Kouakou d’avoir répondu à toutes mes questions.

dédja : ouvert en nouchi ivoirien


Le syncrétisme ouest-africain : une religion hybride

Le syncrétisme ouest-africain s’accommode avec l’islam et le christianisme. Dans cette région, les musulmans ont tendance à faire affaire aux religions traditionnelles pour satisfaire leur désir.

Résistance des religions traditionnelles

Le syncrétisme n’est pas une exclusivité ouest-africaine. Il est aussi pratiqué en Amérique Latine ou en Asie. Moi, je suis de confession musulmane. Quelque chose me chagrine chez « l’islam ouest-africain ». Si on peut l’appeler comme ça. C’est son syncrétisme. Cet islam ajusté, adapté, remodelé. Cet islam fusionné avec d’autres croyances. Un culte animiste y est mêlé. Des visites chez la jeteuse de cauris, une demande d’aide chez le marabout, des talismans autour de la taille comme les lutteurs sénégalais, ceci est banal. Trop banal. Le mimétisme et les habitudes culturelles en sont les raisons. Le syncrétisme religieux est beaucoup pratiqué au Mali, au Bénin, ou encore au Sénégal.

Cependant, en consultant le monde de l’invisible, l’un des principes fondamentaux de l’islam est transgressé : croire en un Dieu unique, et sans associé.

En effet, Allah est clair : il est interdit de croire et de consulter les devins, astrologues et sorciers.

Va essayer de dire à ta tantie d’arrêter de consulter son marabout adoré, car c’est interdit dans l’islam … elle va te regarder d’une manière en rétorquant : tu connais mieux l’islam que moi ?

Bref, je me suis fait une raison. Salam. Chacun ses problèmes.

Un paysage en Afrique. Crédit photo Emmanuel Awohouedji/Iwaria

 

Puis, j’ai réfléchi quelques instants.

Avant que l’islam apparaisse en Afrique de l’Ouest, il y avait trois empires : les empires du Ghana, du Mali et Songhaï. L’animisme était la croyance la plus importante. Dès l’instant où l’islamisation s’est propagé par les Almoravides, les animistes ont embrassé l’islam par force. Ce syncrétisme tire probablement ses sources par cette histoire.

Pour satisfaire leur désir, obtenir des solutions rapidement les devins sont consultés. L’essence du musulman est la patience. L’homme n’aime pas attendre trop longtemps.

Tous les musulmans de l’ouest ne sont pas tous comme ça. Je traite dans ce billet un cas.